Hypertype : quand le mieux est l’ennemi du bien
Article issu du site depecheveterinaire, rédigé par Maud LAFON.
Attendrissante, la tête de chiot du Cavalier King Charles est aussi à l’origine de cas fréquents de syringomyélie, due à la réduction de la taille de la boîte crânienne. Vlassenko Oksala-Fotolia.com
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Sélection
Documentaires alarmistes, articles de presse accusateurs : l’hypertype qui se développe chez le chien et le chat de race ne laisse plus indifférent. Dérive d’une sélection orientée vers un esthétisme discutable, il est aussi le fait d’une valorisation du sensationnel par les clubs de race. Face aux lourdes conséquences médicales, la résistance s’est organisée.
Jusqu’à 30 % de cavaliers king Charles atteints de syringomyélie, 5 à 10 % de Rhodesian ridgeback concernés par le sinus dermoïde, quasiment 100 % de césarienne chez le bulldog anglais… En dénominateur commun de toutes ces statistiques une sélection extrême qui favorise l’hypertype. Bien que simple, le mot est lourd de conséquences.
Défini comme « toute exagération morphologique qui met l’animal dans l’inconfort ou la souffrance« , l’hypertype s’est développé ces dernières années, fruit de la dérive d’une sélection qui, de basée sur l’utilité, a dévié vers l’esthétique dès le milieu du 19e siècle. Il est d’ailleurs assez révélateur de constater que les lignées de travail ne sont quasiment jamais concernées par le problème.
La connotation santé est bien réelle avec des conséquences médicales parfois lourdes d’un phénomène qui a pour point de départ une « amélioration » esthétique qui confine parfois au grotesque.
Exemples nombreux
Terre-neuve « nanifiés », chez lesquels apparaissent des dysplasies de la hanche ; yeux volumineux et proéminents prédisposants (carlin, pékinois…) au développement d’ulcères et de luxations ; démarche « en échasse » du chow-chow liée à ses membres postérieurs trop droits ; problèmes dorsaux des chiens aux dos trop longs comme le teckel ou le basset hound ; brachycéphalie extrême et son cortège d’affections respiratoires ; abondance de plis, source de diverses affections cutanées chez le shar peï ; dysplasie du berger allemand dont on a abaissé à l’extrême l’arrière-train… Les exemples sont nombreux.
Les chiens concernés ne ressemblent plus du tout au standard d’origine des races !
On peut s’interroger quand on sait que le champion toutes catégories de la Cruft 2003 est un pékinois, opéré du voile du palais, qui a dû être placé sur des glaçons pour pouvoir respirer et recevoir son prix !
Consanguinité rapprochée
D’ailleurs, le documentaire télévisé qui le dénonce (Chiens de race, maîtres fous) a fait couler beaucoup d’encre et a agi comme le révélateur d’un phénomène pourtant bien ancré dans le monde du chien de race et inhérent aux modalités de sélection qui, pour atteindre l’extrême, n’hésitent pas à recourir à la consanguinité rapprochée (close-breeding). Avec à la clé d’autres problèmes de santé (luxation patellaire, ostéochondrose, allergies, etc.), sans parler de l’appauvrissement génétique qu’il occasionne.
Ainsi, pour notre confrère Gilbert Schaffner, cynophile averti et juge qualifié, l’hypertype est indissociable de l’excès de consanguinité.
Il souligne l’implication des instances officielles pour lutter contre ce phénomène, la Fédération cynologique internationale ayant communiqué des directives (instructions spécifiques de race) pour sanctionner les dérives morphologiques en exposition. Elle forme également les juges aux conséquences néfastes sur la santé et l’équilibre des sujets hypertypés.
Certains standards de race ont d’ailleurs été revus dans cette finalité. Ainsi la tête du bulldog anglais est passée de « massive » à « forte ». Chez le basset hound, la peau doit être « souple et élastique sans exagération ».
Action des clubs de race
Certains pays ont pris de l’avance dans ce combat à l’instar de la Société canine de Suède (SKK) qui a retenu 70 races présentant un risque d’hypertype et exerce à leur égard une vigilance renforcée. La Suède est également un des rares pays à avoir interdit les saillies consanguines rapprochées (père-fille, frère-sœur).
Le Kennel Club britannique a de son côté décidé de revoir le standard d’une centaine de races, y compris celles dont il n’est pas le pays détenteur, tout en sachant que ces modifications ne seront prises en compte que dans les expositions anglaises.
En France, la Société centrale canine et certains clubs de race ont pris la mesure du problème et réagissent, à l’instar du club du bulldog anglais, très actif sur la question. Ainsi aux queues « croquées » provoquant des dermatites infectieuses et des gênes à la défécation, le standard préfère désormais les fouets normaux.
Pour notre confrère le Pr Bernard Denis, président de la Société d’ethnozootechnie, l’hypertype n’est pas dans le standard des races et devrait être sanctionné au même titre que le manque de type.
Chats, chevaux et animaux de rente
Si le phénomène est patent chez certaines races de chiens, il n’épargne pas pour autant les chats, touchés eux aussi par des phénomènes comme la brachycéphalie, les chevaux, avec les têtes hyperconcaves des pur sang arabes de show, ou les animaux de rente, chez qui la sélection vers une hyperproduction de viande ou de lait conduit à des dérives morphologiques en hyper (animaux culards* notamment).
Chez les chats, le Loof** a donné l’alerte dès 2004 : persan ultratypé victime de difficultés respiratoires, d’obstruction des canaux lacrymaux, prédisposés aux dystocies…, Scottish fold, sujet de malformations lorsqu’il est homozygote, mais aussi Maine Coon trop lourds et touchés par l’arthrose…
Pour les zootechniciens, il est donc urgent de revoir les modalités de la sélection. Le cas échéant, certaines races pourraient bien être menacées de disparition.
Opérer une sélection raisonnable et compatible avec le bien-être de l’animal est aujourd’hui en passe de devenir un objectif d’élevage prioritaire. Sans pour autant aller vers une uniformisation des races, cette sélection plus éthique semble même indispensable à leur survie, d’autant que le contexte législatif actuel, centré sur le bien-être animal, pourrait bien être à l’origine un jour d’une interdiction de certaines races si leur type extrême est accusé de nuire à leur confort de vie.
Retour du bâtard
Au-delà de l’hypertype c’est donc peut être toute la philosophie de l’animal de race qu’il faudrait revoir en s’affranchissant des phénomènes de mode, qui mettent en avant les minis chiens, la néoténie avec les chiens adultes à tête de chiots, etc.
Face à de telles menaces, et quand on sait qu’une assurance santé animale est par exemple deux fois moins chère pour un chien croisé que pour un bulldog, le bon vieux bâtard n’a pas dit son dernier mot… Et si c’était finalement lui le dernier chien branché ?
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* L’adjectif culard désigne un caractère présent chez certaines races domestiques : un taureau culard ou une vache cularde présente une hypertrophie musculaire de l’arrière-train. On parle également de race bovine ou ovine cularde. Par extension, un gène culard est un locus génétique impliqué dans ce phénotype.
** Loof : Livre officiel des origines félines.
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