Renforce-quoi ?

Renforce-quoi ?

Article issu du blog de Sébastien Larabée

Dans les dernières semaines, j’ai vu passer tout un tas de fils de discussion sur les réseaux sociaux, concernant notamment les méthodes utilisées pour entraîner ou éduquer les chiens. Le débat sur la chose ne date pas d’hier mais vu le regain d’intérêt pour le sujet, je me suis dit qu’il était temps d’y mettre mon grain de sel.

Tout d’abord, parlons un peu de punition.

Soyons clair. La punition, ça fait partie de mon coffre à outils. Je serais fort ignare si j’affirmais le contraire. De façon général, dans le cadre de mon travail, si punition j’utilise, il s’agit de punition négative (P-), qui implique le retrait de quelque chose de désirable à l’animal pour décourager un comportement (retrait du contact social, fin du jeu, disparition des récompenses etc.) Ce type d’intervention a pour avantage de ne créer aucune douleur ou peur chez l’animal. Par contre, si elle est surexploitée, la punition négative crée de la frustration chez le chien qui finit par en avoir marre de constamment échouer. C’est pourquoi un bon éducateur vous enseignera à maximiser le principe « succès-récompense ». C’est ce que je fais. Néanmoins, la punition négative reste un mécanisme valable, selon la situation, si utilisé avec parcimonie.

Maintenant, abordons la fameuse P+, la punition positive, aussi appelée la « baffe sur la gueule ». D’un point de vue purement rationnel, c’est un fantastique interrupteur de comportement. Tu fais une connerie, je te balance un coup sur la tronche, fin du comportement, tout le monde est content. D’un point de vue plus global, c’est inefficace puisque ça n’enseigne pas le comportement adéquat et ça abime salement la relation entre le puni et l’individu qui sévit.

Là j’entends déjà crier « oui mais je ne frappe pas, je donne un petit coup sur la laisse, c’est rien de bien méchant! » Pour sûr, il y a des degrés de sévices. Un coup sur la laisse ce n’est jamais aussi dommageable qu’un coup de batte. Sauf que si ton petit coup sur la laisse ne fonctionne pas, tu fais quoi? Si ton modèle est punitif, tu augmentes la pression jusqu’à satisfaction. Point barre. (À titre d’exemple clair, rappelez-vous que dans les dernières années, plusieurs groupes extrémistes avaient menacé la rédaction de Charlie Hebdo suite à diverses publications (punition positive version « soft »). Devant l’absence de succès, la pression a monté et au final, c’est à coup de fusil mitrailleur que ça s’est réglé (punition positive niveau ouf!)… C’est le même mécanisme qui entre en jeu pour mener les entraîneurs et les propriétaires de chiens du collier plat à l’étrangleur puis, si échec, au collier à pointe ou électrique ou autres niveaux de « super-punition ». C’est une spirale infernale qui n’en finit plus et même la « petite punition » à un impact sur la relation avec le chien… (Essayez, pour voir, de balancer une « mini-baffe » à votre partenaire de vie à votre prochaine mésentente et revenez discuter de votre tout nouveau super statut d’humain-alpha-célibataire.)

Alors, est-ce que je me sers du P+ ? Comme tous les humains, je perds parfois patience dans le cadre de mon quotidien. Je pousse un coup de gueule. Je tire un brin sur la laisse parce que je suis pressé. Je fais les gros yeux parce que je n’ai pas le temps/pas envie/pas entraîné le comportement approprié chez mon chien. Chaque fois, les toutous me font la mine basse. Chaque fois, je me dis « Hé merde, je me suis planté ! ». Chaque fois, je me sens comme un gros connard.

Est-ce dire que la punition positive, appliquée volontairement et de façon planifiée est tabou-pas-bonne-caca-touche-pas ? En fait, la P+, c’est l’outil du fond du coffre. Le dernier recours. La massue de démolition. Démolir, c’est pas propre. Ça fout le bordel et le risque de dommages collatéraux est élevé. La plupart des objectifs d’entraînement de mes clients sont des merveilles de précision et de délicatesse. On n’obtient pas ça à coup de butoir! (Je vous mets au défi de planter un clou à finir avec une massue. Bonne chance!) Si l’outil est toujours là, bien au chaud au fond de mon sac, tranquillement, il se couvre de rouille et de poussière.

Question suivante, qui émerge normalement de ce genre de discussion : oui mais tu fais quoi si ça marche pas ? Facile. J’appelle meilleur que moi. Voyez-vous, lorsque l’entraînement échoue, c’est généralement un problème d’application pratique, pas un échec de la méthode elle-même. Au cours des dernières années, j’ai parfois dû faire appel à mes mentors pour des cas qui dépassaient mon niveau de capacité. Chaque fois, ces mentors ont fourni la solution. En trois ans et demi de terrain, y compris avec des chiens réactifs et agressifs, je n’ai pas eu à sévir sur un animal. Pas. Une. Seule. Fois. Pour moi, c’est suffisant pour me convaincre que si j’échoue, JE suis à côté de la plaque et que recul et réflexion me permettront d’ajuster le tir.

J’en arrive à ma vision des choses, ma méthode, le cadre que je mets en place avec TOUS mes clients.

On détermine CLAIREMENT ce que l’on veut. (C’est fou le nombre de personne qui ignorent ce qu’ils veulent obtenir de leur chien. Ils savent ce qu’Ils ne veulent pas mais ce qu’ils attendent, c’est une autre paire de manche !)

On établit un protocole d’entraînement BASÉ SUR LE SUCCÈS (R+ / renforcement positif), sur l’atteinte de paliers qui, enchaînés les uns derrière les autres, nous mènent à nos objectifs. (Ça vaut pour n’importe quel but, de l’enseignement du assis reste à la réhabilitation d’un chien mordeur.)

On s’assure d’avoir les outils pour GÉRER et ENCADRER les comportements problématiques le mieux possible durant l’entraînement. (laisse, longe, cage, muselière, harnais, terrain clôturé etc.)

À travers tout ça, j’applique toujours le même concept éthique : s’il est évitable, tout inconfort, même minime, infligé à l’animal durant son éducation ou sa réhabilitation est inacceptable. C’est non-négociable.

Alors, si tout ça est possible, pourquoi y-a-t’il encore des entraîneurs qui utilisent la peur, la douleur ou autres méthodes fort tristes ? Je ne peux pas parler pour tous les autres mais je peux parler pour moi.

Premièrement, le changement fait peur. Si vous avez un cadre dans lequel vous fonctionnez bien, dans lequel vous atteignez vos objectifs personnels, professionnels et monétaires, il est difficile d’en sortir. (C’était mon cas.) J’ai eu la chance de rencontrer des gens exceptionnels et disposés à m’enseigner peu après le début de ma carrière donc changer m’a été plus facile néanmoins, je me souviens très bien de mon hésitation, de mes questionnements et surtout, du sentiment d’impuissance qui m’habitait. Pas facile de se remettre en question, de tout balancer par la fenêtre et de recommencer à zéro.

Deuxièmement, pensez à la charge de culpabilité qui risque de venir avec un changement de méthode. Si j’admets que travailler à l’étrangleur, retourner un chien sur le dos, ou administrer une décharge électrique est évitable ; si j’admets, étant donné les outils à ma disposition, que ce sont là des choses horribles à faire subir à un être vivant, comment puis-je faire face à ma culpabilité ? Au fait que j’ai infligé des tourments inutiles à des animaux que j’aime tellement que j’ai fait de leur bien-être ma raison d’être ?

Le jour où j’ai « allumé », je me suis effondré. J’ai perdu le sommeil et l’appétit pour ensuite sérieusement remettre en question mes valeurs et mes principes et même mon choix de carrière. J’ai trouvé la force de me pardonner et de poursuivre sur ma nouvelle voie mais jamais je n’oublierai les animaux effrayés ou malmenés, même légèrement, dans un but dit « éducatif ».

Alors voilà, c’était mon grain de sel sur le débat qui, selon moi, fera rage encore longtemps. Pour ma part, j’ai trouvé mon chemin et je m’y tiens.

© Sébastien Larabée, Éducateur-canin

Laisser un commentaire